Histoires de femmes et de lessives

Voilà un titre mystérieux pour un spectacle qui ne l’est pas moins. Écrit et mis en scène par Marine Bachelot, de la compagnie Lumière d’août, il s’agit d’une déambulation théâtrale dans le parc Saint-Cyr, à Rennes. Une plongée au cœur de l’institution de rééducation pour jeunes filles qu’a longtemps été ce lieu ; un regard transversal sur la condition féminine également.

« Histoires de femmes et de lessives » - photo Caroline Ablain

« Histoires de femmes et de lessives » — photo Caroline Ablain

« Filles du diable ! Tentatrices ! Vicieuses ! Putains ! Sorcières ! Nettoie et frotte bien ma chemise, bonniche ! (…) Restez cachées derrière vos murs, vous faites mal aux yeux… » La bordée d’injures déversée au début du spectacle pose d’emblée les bases de l’Histoire, des histoires qui se sont déroulées ici entre 1808, année où les sœurs de l’ordre de Notre-Dame de la Charité créent l’institution, et 1986, lorsque le Domaine est racheté par la ville de Rennes. Celles qui résidaient ici n’étaient pas en odeur de sainteté pour la société. Filles de mauvaise vie, prostituées, délinquantes, orphelines…, elles y étaient placées par les tribunaux, par l’Assistance publique, ou par leur famille pour les protéger. Une population exclusivement féminine à l’exception du jardinier, qui fut renvoyé alors qu’il s’égayait avec une pensionnaire !

L’endroit était clos, les murs entre 3 et 7 mètres de haut. Seule ouverture vers l’extérieur : le lavoir, pôle industriel et économique de l’institution. Car avant 1945, l’Ếtat ne subventionnait pas l’institution qui devait vivre sur ses ressources propres. Des monceaux de linge y étaient lavés et blanchis en guise de rééducation par le travail. Le lavoir fut lui aussi caché par un mur pour prévenir les pensionnaires des insultes des passants. La haute cheminée en briques domine toujours, près de l’actuelle MJC La Paillette où le lavoir a été aménagé en espace d’exposition. C’est le point de départ du spectacle et l’une des cinq stations de cette déambulation qui témoigne également des permanences et des transformations du domaine (chapelle, cimetière, résidence étudiante, maison de retraite…).

Marine Bachelot ne s’enferre pas dans la reconstitution historique, bien que depuis début 2009 elle se soit énormément documenté sur le sujet. « J’ai épluché les archives, des articles, des livres. Une brochure de la maison de retraite, la biographie de la mère supérieure du XIXe siècle, le rapport d’une sœur pour son diplôme d’éducatrice spécialisée… » Elle a également recueilli les témoignages d’une sœur éducatrice, d’une ancienne infirmière, d’une éducatrice laïque et d’une ex-pensionnaire. Ces dernières se livraient difficilement : « Je ne préfère pas vous voir car je me suis mariée et je n’en ai jamais parlé », lui a-t-on dit. Quel que soit l’âge où elles étaient entrées et les raisons pour lesquelles on les y avait mises, les filles y restaient jusqu’à leur majorité (21 ans). Qu’elles fussent victimes ou pénitentes, elles apparaissaient toujours fautives.

« Histoires de femmes et de lessives » - photo Caroline Ablain

« Histoires de femmes et de lessives » — photo Caroline Ablain

Ce travail de bénédictin trouve sa raison d’être dans le projet théâtral que Marine Bachelot mène actuellement sur les féminismes. Une création en salle est prévue pour 2011. Travailler la mémoire du Domaine Saint-Cyr c’est aussi brasser l’histoire de la condition féminine et renvoyer un écho aux politiques éducatives actuelles. « Protéger ou exclure ? Victimes ou pénitentes ? On se pose la question à la lecture des décisions de justice », raconte Marine Bachelot.

Extrait, par Léontine : « Au bal du 14 juillet à Saint-Malo, j’ai dansé avec un soldat. La valse et les lampions m’avaient tourné la tête. Sur la plage, sous sa tente, on a couché ensemble. Mais la police rôdait : “Relation sexuelle dans un lieu accessible au regard du public”. L’avocat de mon soldat a plaidé : “C’est un jeune militaire vous comprenez, il faut bien que jeunesse passe.” Moi aussi ma jeunesse passe, et passera derrière les murs de Saint-Cyr ».

Cofondatrice en 2004 de la compagnie Lumière d’août, l’ancienne thésarde en Arts du Spectacle à l’université Rennes 2 avait présenté Artemisia Vulgaris lors du festival Mettre en Scène 2008. Un texte percutant et roboratif à la radicalité salutaire. Autant de bons points que l’on retrouve dans ces Histoires de femmes et de lessives interprétées par trois comédiennes, Garance Dor, Bérengère Lebâcle et Claire Péron.

Jeudi 30 juin, vendredi 1er et samedi 2 juillet 2011 à Rennes (parc Saint-Cyr, 20h, durée 1h15 — rendez-vous au théâtre de La Paillette).
Site internet : Lumière d’août.
Une première version de cet article a été publiée sur le site rennes.fr et dans le magazine Le Rennais. Merci pour leur autorisation.
À retrouver dans la série : Les Tombées de la Nuit 2010
Éric Prévert