L’Appel d’Airs est mort, mais peut-être pas enterré

Samedi 27, le concert des Nits clôturera de manière anticipée la saison de L’Appel d’Airs. Étranglée par les dettes, la salle ferme après cinq ans d’excellents et joyeux sévices culturels. Les bénévoles qui l’animent ne veulent cependant pas abandonner leur projet de mise en valeur d’un territoire rural, qui mérite mieux qu’une douloureuse liquidation judiciaire.

Il y a quelques semaines, L’Appel d’Airs fêtait ses cinq ans en fanfare. Au même moment, la structure annonçait, pour la première fois, la sortie d’un « programme commun », édité avec le Bacardi et la Citrouille, les deux autres salles de musiques actuelles des Côtes-d’Armor,  permettant aux amateurs de se repérer dans les propositions de ces trois lieux. Le week-end dernier, L’Appel d’Airs faisait salle comble en accueillant Revolver, petit groupe qui a déjà bien monté, mais qui fut signé avec flair juste avant son explosion. En apparence, le printemps débutait donc sous les meilleurs auspices. Mais en coulisses, la situation financière plus que tendue de la structure ne s’améliorait pas,conduisant ses gérants à jeter l’éponge. Le concert des Nits, samedi 27 mars, marquera l’arrêt anticipé de la saison — les autres dates programmées en avril sont soit annulées  (La Ruda), soit en attente de trouver un autre lieu d’accueil (soirée Art’Maniac le 10,  ouverture du festival Complet’Mandingue le 24).

Bjorn Berge à L’Appel d’Airs le 5 novembre 2005 — photo Loïc Ballarini

Bjørn Berge à L’Appel d’Airs le 5 novembre 2005 — photo Loïc Ballarini

Pour comprendre la situation, il faut revenir sur le mode de fonctionnement particulier de L’Appel d’Airs. Lorsque le projet a été initié, en 2004, c’est l’occasion qui fit les larrons : le fonds de commerce de feu Le Grillon, l’ancienne discothèque de Trébry (22), est à vendre. Une bande d’amis fonde la SARL Treize à table, qui s’en porte acquéreur, ainsi que de la licence IV. Le lieu est idéal : au sommet du Mont Bel-Air, sur le point culminant des Côtes-d’Armor, à cheval entre les pays de Moncontour, Lamballe et du Mené. Idéal pour ces militants associatifs, dont certains sont aussi intermittents du spectacle, qui, depuis des années, s’investissent dans ces territoires ruraux et entendent leur insuffler une vie locale, par et pour le local. Les premiers concerts ont lieu début 2005. Dans leur sillage est créée l’association Le Toit du Monde, afin de réunir les bénévoles nécessaires au fonctionnement du lieu. Petit à petit, les rôles sont partagés entre la SARL et l’association. À partir de l’été 2007, la répartition se fait comme suit : Treize à table gère le bâtiment et le met à disposition contre les recettes du bar, Le Toit du monde s’occupe de la programmation et encaisse les entrées. Logique. Mais si l’association s’en sort plutôt bien, le ver est dans le fruit de la SARL.

« On a agi comme des amateurs, convient Pascal Renault, un des treize associés, joint au téléphone. On a signé un bail dans lequel on était responsable de toute la maintenance du bâtiment. » Or, quand le bâtiment ne va pas, rien ne va. L’ancienne discothèque est en sale état. Pas aux normes, mal isolée, avec une chaudière capricieuse et pas particulièrement économe. Et le loyer est exorbitant : 1600 euros par mois. Les travaux de mise aux normes creusent tout de suite un trou abyssal, agrandi, comme s’il fallait que le sort s’acharne, par un départ trop ambitieux. L’Appel d’Airs première mouture se voulait en effet aussi discothèque et avait pour cela embauché deux salariés, qui devront être rapidement licenciés, et la voilure réduite pour se limiter aux concerts. Résultat : 80 000 euros de dettes la première année. D’autres auraient arrêté tout de suite les frais, mais le projet est beau, les associés et les bénévoles motivés. L’Appel d’Airs commence à être (re)connu, les dates s’enchaînent et les excellents souvenirs s’ajoutent les uns aux autres. Lo’Jo, Bjørn Berge, The Young Gods, Émilie Simon, Piers Faccini par trois fois, French Cowboy, Rodolphe Burger, Birdy Nam Nam… se succèdent à Bel-Air. La salle n’est pas toujours pleine, la neige empêche quelquefois d’y parvenir (ou d’en repartir !), mais spectateurs et artistes sont ravis.

Lo’Jo à L’Appel d’Airs le 31 mars 2006 — photo Loïc Ballarini

Lo’Jo à L’Appel d’Airs le 31 mars 2006 — photo Loïc Ballarini

Tous ont de l’énergie  à revendre, et le déficit parvient à être ramené à 50 000 euros, les loyers en retard sont payés, une baisse est même négociée. La SARL, qui demeure sur la corde raide, tient le choc et évite une menace d’expulsion en mai 2009. Un système de location de la salle est mis en place, mais la vétusté des lieux freine son développement. Conscients de la précarité de la situation depuis le début, associés et bénévoles préparent l’avenir. En juillet 2007, le festival Bel-Air de fête permet de fédérer 25 associations locales. Le lien est maintenu par Le Toit du monde, qui veut développer les activités et mener à bien le projet initial, d’inscription d’un lieu de vie dans un territoire rural. Car l’objectif n’est pas que de diffuser de la musique. L’Appel d’Airs peut devenir un centre dédié certes à la culture, mais aussi au tourisme, à l’environnement, aux énergies renouvelables. Les idées ne manquent pas. Une association y installe son siège social, une autre parle d’y mettre en place des cours de percussions et danses africaines. Depuis l’été 2009, un dossier issu de ces réflexions est sur la table des élus locaux : la région, le département et les trois communautés de communes concernées.

« Administrativement, L’Appel d’Airs est sur la commune de Trébry, qui appartient à Lamballe Communauté, détaille Cyrille Menguy, coprésident du Toit du monde. Le panneau d’affichage est à Plessala, qui fait partie de la communauuté de communes du Mené. Et le jardin est sur Trédaniel, membre du Pays de Moncontour. » Une situation qui symbolise l’esprit des lieux et de ses animateurs : « Nous ne voulons pas qu’une seule collectivité s’engage sur ce projet, mais toutes les trois. Le Toit du Monde n’a pas vocation à devenir gérant de la salle, qui doit être portée par un projet collectif. » L’idée serait de créer une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), une structure issue de l’économie sociale et solidaire qui permet de réunir des particuliers, des collectivités publiques et des entreprises privées, et qui peut faire appel à des salariés et des bénévoles. Dans cette perspective, la saison 2009-2010 est envisagée comme une saison de transition, qui doit permettre de trouver la bonne porte de sortie, d’organiser le passage de la SARL à la SCIC pour la gestion du bâtiment, et du Toit du monde à un collectif à définir pour son animation.

Syd Matters à L’Appel d’Airs le 5 avril 2008 — photo Loïc Ballarini

Syd Matters à L’Appel d’Airs le 5 avril 2008 — photo Loïc Ballarini

Mais le temps associatif n’est pas le temps institutionnel. Treize à table est dans l’urgence, quand les collectivités, qui n’ont pas toutes la compétence culturelle et doivent donc s’en saisir, ne peuvent répondre en moins d’une année. L’entame de saison est difficile, la fréquentation diminue, les recettes du bar plongent. « Cela fait trop longtemps qu’on rame, résume Pascal Renault. On n’a plus de solution. » Épuisés, les associés déposent le bilan en février. Le juge leur accorde deux mois de redressement, mais ils savent que ce ne sera pas suffisant, et décident de mettre un terme à l’aventure à la fin mars, sans engager de loyer pour avril. Personne ne peut être surpris, mais il y a de quoi être amer. Sans les dettes contractées au départ pour la remise aux normes, avec un loyer correspondant à l’état des murs, le projet était parfaitement viable. « Le propriétaire n’a jamais adhéré au projet », et les associés n’ont pas su, ou pu, négocier plus serré avec lui. Samedi 27, après le concert des Nits, les portes de L’Appel d’Airs se fermeront donc prématurément. Elles pourraient rouvrir dans un avenir proche… à condition que se crée une dynamique. « Les collectivités locales ont envie de mettre Bel-Air en valeur. Elles ne pourront pas le faire sans les associations », estime Cyrille Menguy. Si c’est bien le cas, il faudra également lever l’obstacle du bâtiment, c’est-à-dire l’acheter. Histoire que l’investissement, en temps et en argent, des treize larrons qui firent de leurs rêves une réalité, ne soit pas définitivement perdu.

Samedi 27 mars 2010, The Nits à L’Appel d’Airs (Trébry), 15/13/11 €.
Site internet : http://lappeldairs.free.fr/
Le Toit du Monde convoquera prochainement une assemblée générale extraordinaire. Adresse : Association Le Toit du Monde, site de Bel Air, 22510 Trébry. Courriel : info@lappeldairs.org

Loïc Ballarini

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