Magma, c’est pas la musique à pagpa

Magma fête ses quarante ans de belle et double manière : en publiant un coffret réunissant tous ses enregistrements studio, et bien sûr en partant en tournée. Seule date dans l’Ouest avant l’été : Brest pour le Festival invisible. La Griffe se joint à la fête en republiant un entretien avec le leader, compositeur et batteur du groupe, Christian Vander, paru à l’occasion… des trente ans du groupe.

magma_1Magma remplit les salles de deux générations différentes : l’une, habillée de noir, chante "Mekanik Destruktiv Kommandoh" dans le texte, et l’autre qui découvre une presque légende et une musique n’ayant pas pris une ride, puisque intemporelle. Musique atypique, lame de fond, Magma est dorénavant une formation phare au tracé parallèle de toute mode, dont très peu des nombreux partenaires de Vander (de Janick Top à Didier Lockwood, de Paganotti à Cecarelli) ont regretté l’expérience. Pour les adorateurs qui ont maintenant grandi, avec le temps, que reste-t-il de ce fleuron d’une nouvelle musique de presque 30 ans ? L’énergie inventive, le feu qui couve, l’imagerie flamboyante, le jeu rigoureux du batteur-leader Christian Vander, ou tout cela en plus mûr ? Il est bien possible que le consensus qui s’y applique ne vienne que de la justesse inflexible d’un clone entre jazz pur et recherche constante au-delà des tendances et des courants. Il faut redécouvrir Magma, pour ne pas oublier que la musique libre est autant dans le camp de l’énergie et de "l’historique".

La Griffe : Presque 30 ans après sa création, Magma suscite toujours autant  d’enthousiasme…
Christian Vander : Magma n’est pas une musique de mode. J’espère qu’elle passera au travers du temps ainsi qu’au fil des modes. A partir du moment où on n’y appartient pas, on est peut-être véritablement libre. Se libérer c’est une belle chose, par tous les moyens… La musique en est un.

Comment expliquez-vous qu’il y ait énormément de jeunes dans le public de Magma ?
Certain que des jeunes ont découvert Magma par leurs parents, par les anciens, mais des jeunes ont aussi cherché. Ça c’est important parce que, aujourd’hui, c’est très difficile de dénouer le fil, avec toutes les choses qu’on peut proposer, de très bonnes choses aussi. Il est très difficile de faire un choix dans ces méandres. Je crois que, quand on tire le fil, on retrouve tous les musiciens par lesquels tous sont passés. Je crois qu’en écoutant certains bons groupes, ou bons musiciens, on reconnaîtra encore le passage de certains musiciens dans les temps, de ceux qu’on aime de toutes manières. Il m’arrive d’entendre, que ce soit de la musique rock ou fusion, des gens qui, même inconsciemment, jouent des phrasés de John Coltrane. Ils ont entendu quelqu’un qui a entendu quelqu’un. Ça leur a plu. On retrouve le fil à l’intérieur de ça, mais c’est difficile. C’est bien de le faire, c’est bien qu’ils le fassent. Ça  me fait plaisir.

Est-ce que la création de Seventh Records a contribué à donner davantage de liberté à Magma ?
De toutes manières, on n’avait pas le choix. J’ai eu la chance de rencontrer Francis Linon qui a mis son studio à ma disposition. C’est lui qui a créé ce studio, qui l’a conçu. C’est un instrument fantastique. C’est sûr qu’aucune maison de disques ne voulait plus de nous. Soit les thèmes étaient trop longs, soit il fallait changer ceci ou cela. En fait, on n’existait plus. Comme la plupart des productions aujourd’hui. On me demandait de changer un couplet, pourquoi pas de changer les paroles. On s’est rendus libres d’une certaine manière.

Qu’est-ce-que vous retirez de l’expérience Offering ?
Offering, c’est une musique plus improvisée que Magma. On va d’un point à un autre, donc j’ai plus ou moins dit qu’on jouait sur la corde raide. C’est passionnant. Quand on réussit c’est vraiment magique, sinon, c’est sûr, c’est dangereux. Tomber dans ce gouffre en musique, on peut y tomber plusieurs fois, malheureusement, mais... Magma c’est une structure évidemment plus rigide. Il y a toujours une place pour un solo, à l’intérieur, mais, en fait, la musique est structurée. A l’intérieur de ça, on peut évidemment interpréter beaucoup de choses aussi. Je ne joue pas tous les soirs tout à fait de la même manière, c’est sûr. Offering était très structuré mais on va d’une mélodie à l’autre. C’est passionnant, ça nous oblige à improviser, à être très vifs. Ca tient en éveil. Donc voilà, l’idée c’est de rester en éveil, c’est ça, aussi, l’idée de rester libre. Conscience en éveil, voilà. Toujours conscient et en éveil... et rapide !

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Et ne pas avoir peur, non plus, du danger dans Offering de ne pas arriver à faire ce que vous voulez faire ?
Bien sûr... Et puis c’est certain que le public n’était pas forcément indulgent... Il a raison. Mais, c’est une expérience. On ne l’a pas précisé, bien entendu. C’est bien de pouvoir s’exposer au danger, parce qu’on vit une vie un peu trop facile, dans une époque où on est un peu trop protégé, préservé.
L’idée ce n’est pas de trop provoquer, mais il faut pouvoir s’exposer un minimum. Donc, c’est très dangereux de s’exposer dans la vie pour apprendre. Ce qui est important dans la vie, c’est le vécu. Chaque moment où on a pris un risque et où on est arrivé au bout, c’est une chose acquise et une chose qu’on mettra à nouveau en pratique dans la musique et dans la vie. Je ne dissocie pas l’un de l’autre, c’est la même chose pour moi. L’idée c’est de toujours rester en éveil et de combattre.

Comment expliquez-vous que peu de musiciens se soient attaqués à la musique de Magma, parce que des pièces comme "Mekanïk" et "Khöntarkosz " ont une dimension universelle, elles touchent.
Tout d’abord, il n’y a pas de partition de "Khöntarkosz ", et beaucoup de musiciens qui ont écouté cette musique n’ont pas compris où se situait la mesure, le premier temps, puisqu’en fait, tout est pratiquement basé sur une sorte de contre-temps. L’idée, c’était de mettre un contre-temps comme un temps fort et au bout d’un moment, on ne sait plus où est le temps, le contre-temps. C’est un placement spécial et je crois que le mystère, il n’y a que ceux qui le jouent qui le percent. Il y a des gens qui peuvent relever des choses mais il y a énormément de choses qu’on ne peut pas relever véritablement. Il faudrait des partitions. On ne peut pas relever ça, comme, je dirais, "Kobaïa"... c’est plus complexe. Même  "Theusz Hamtaak", il y a beaucoup d’endroits mystérieux. Même les gens qui travaillent avec le disque et les partitions, ont du mal à suivre. Ce sont donc des morceaux qui ne sont pas faciles à aborder. Beaucoup de musiciens ne sont pas... pas capables... [ndlr: après une longue hésitation et un rire], je dirais, de jouer ces thèmes, tout simplement. Déjà à l’époque, parce qu’il ne faut pas croire qu’on évolue vite rythmiquement, il a été très difficile de trouver des musiciens pour jouer "Khöntarkosz". On a beaucoup cherché et j’ai eu du mal à trouver un pianiste. J’ai trouvé deux pianistes, j’avais Jean-Paul Asseline et Benoît Wideman qui ont réussi à jouer le morceau, et j’ai entendu des pianistes ! La difficulté reste. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens qui ont un bon sens rythmique, harmonique aussi, mais rythmique au départ. Emmanuel Borghi, au piano, avec qui je travaille dans le trio, est un grand  musicien et un grand rythmicien.

Est-ce que l’impact de Magma est aussi dû à cette philosophie véhiculée, dans la musique bien sûr, mais qu’on trouve dans cette histoire de Magma, dans cette mythologie aussi ?
Je ne sais pas ce que les gens en connaissent de cette philosophie, ou ce qu’ils en comprennent, ce qu’ils ressentent. Ce que j’essaie dans le temps, c’est d’être le plus clair et le plus expressif possible. Je travaille dans l’idée de l’expression, pour qu’on ne confonde pas soleil et lune, tout simplement. Si je parle du soleil, je veux qu’on le comprenne. L’idée n’est pas d’empêcher les gens d’interpréter, c’est d’être clair. Je trouve cela passionnant de dire soleil et que les gens comprennent soleil. C’est tout simple en fait, maintenant c’est à moi de travailler et d’évoluer, c’est certain.
Dans la musique de Magma ou dans les musiques à l’intérieur desquelles je travaille, j’essaie de développer une espèce de mouvement qu’on arrive pas à expliquer avec les mots justement, et qui ne s’apprend pas dans les écoles. Une sorte de... bon, je disais au début du feu, ou une sorte d’énergie, mais qui ne tient pas à ça en réalité. C’est une sorte de vibration, une manière d’aborder la musique et de vibrer à l’intérieur du temps. C’est une division qui va au-delà de la division mathématique. C’est une chose qu’on ne peut pas communiquer, faire passer, qu’on ne peut pas expliquer. Il faut le pratiquer, il faut un jour tomber dedans. Peut-être à la naissance, ou on le découvre progressivement, quand on le veut vraiment. Moi, je m’aperçois que les grands musiciens que j’ai entendus jouaient ça. Je ne comprenais pas au début, je me disais: « Tiens, il y a une sorte d’énergie spéciale. » En fait, c’est ça, le jour où on tombe dedans, on ne peut plus jouer autrement. Au début, je comptais beaucoup sur une énergie physique aussi. Maintenant, cette énergie existe également, elle vient de l’intérieur, ce n’est pas tout à fait pareil. Cette énergie vibratoire, ce n’est pas un mot vain, elle existe véritablement. Ce n’est pas une fanfreluche comme la vibration, « good vibration », des choses comme ça. C’est quelque chose de palpable, sinon, je n’en parlerais pas. Je ne parle pas de choses abstraites.

Vous pensez qu’après votre mort, il n’y aura pas de musiciens qui joueront votre musique ? Moi, j’en suis convaincu.
Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. J’espère que beaucoup de gens ont saisi cette vibration pour pouvoir la restituer. Jouer la musique de Magma simplement sur une partition qu’on aura écrite, bon ceci est une simple croche... en réalité ça va bien au-delà d’une sextuple croche, par exemple... rien que ça, j’espère qu’au-delà de ce qui est écrit, ils vont interpréter au-delà des mots, des tâches... les partitions qu’ils vont sentir. C’est bien plus important. Je crois en cette musique, j’espère qu’elle est interprétable, c’est ça que j’ai voulu dire. C’est difficile pour moi de parler de ça. J’essaye de laisser un travail clair et précis. A partir de ce moment où il est expressif, on comprendra, comme je l’ai dit, soleil et non lune... si je parle du soleil.

Le 21 mars à Brest (La Carène), le 13 juillet à La Rochelle (Les Francofolies), le 28 août à Nantes (Les Rendez-vous de l’Erdre).
CD : coffret 10 CD Studio Zünd (les 9 albums studio et un double CD de bonus, Seventh Records/Chant du monde)
Sites internet : magma40ans.com, seventhrecords.com
À retrouver dans la série : Festival Invisible 2009
Article précédemment paru dans « La Griffe » nº99 (décembre 2000)
Didier Houde

Auteur : Didier Houde