Octobre 2007, François Bégaudeau est de passage aux Champs Libres à Rennes pour une rencontre littéraire autour du thème « fiction et société ». Nous l’interviewons alors qu’il est déjà question qu’Entre les murs soit sélectionné pour Cannes. Un an après, l’entretien est toujours d’actualité au moment où le film sort en salles.
La Griffe : Jouer juste est un monologue dans un vestiaire de foot, Fin de l’histoire tourne autour de la dernière conférence de presse de Florence Aubenas… Vos livres semblent construits autour de l’oralité ?
François Bégaudeau : J’ai rédigé mon premier roman vers 30 ans quand Zabriskie Point [groupe de rock nantais des années 90 dont il était le chanteur, ndr] s’est séparé. Écrire des chansons était probablement un moyen de substitution. S’il y a un fil rouge entre ces livres c’est qu’ils sont adressés à… La langue est tout de suite théâtralisée, ce n’est pas une parole intimiste. En même temps, il y a dedans des phrases très écrites, je m’en rends compte quand je fais des lectures publiques.
Avec Entre les murs vous faites entrer le roman à l’école alors que la plupart du temps il n’y a que des essais qui lui sont consacrés. Pourquoi ?
C’est pire que ça. Il y a eu beaucoup de livres écrits par des profs, c’est-à-dire par des acteurs et pas par des commentateurs qui s’improvisaient essayistes pour se donner des galons littéraires. En France, on est écrivain quand on a des choses à dire sur le monde. Je suis contre ça ou plutôt en périphérie. Peut-être que le premier geste à faire, c’est un travail de description. Je me suis aperçu que la réalité dont j’étais le témoin en tant que prof était un matériau littéraire exceptionnel. J’avais un poste d’observation privilégié sur une concentration de la réalité de diverses générations, sur les contradictions de la société… J’ai commencé à prendre des notes sur ce que je vivais, le livre porte cette marque puisque c’est des chroniques. Je ne prétends pas qu’il est plus objectif que ceux écris par d’autres profs. Il est très orienté aussi. Pourquoi choisir telle anecdote plutôt que telle autre ? Parce que certaines étaient plus intéressantes et que d’autres étaient déjà relayées par TF1 ou France 2, par exemple le racisme des élèves, la violence à l’école…
À vous lire, on a l’impression qu’enseigner est une joie mais que ça devient un enfer quand ça se passe dans les bâtiments de l’Éducation Nationale ?
Pour connaître l’état des enseignants, il faudrait poser cette question à chacun, d’où la nécessité du témoignage. La démocratisation de l’école est importante, il ne faut pas revenir dessus. Le problème c’est qu’on n’a pas changé les méthodes. On a gardé les mêmes murs et on y a mis des populations différentes. On souffre toujours de ce non-ajustement. Le problème vient aussi du fait que les enseignants sont formés d’une certaine manière. Ils sont plongés dans un bain idéologique axé sur le patrimoine culturel. Quand ils en sortent, ils font partie des gens qui savent et ils sont persuadés que les élèves doivent accéder à ce patrimoine. C’est un système qui a été fait pour créer une élite, pour trier et qui est contradictoire avec la démocratie. Aujourd’hui on n’est plus dans ce schéma alors forcément il y a de la casse.
Pour adapter votre livre, Laurent Cantet filme le quotidien, les scènes du livre qu’il vous fait rejouer en compagnie des élèves. Comment cela s’est mis en place ?
On s’est rencontré à France Inter. Il m’a entendu parler de mon livre et m’a dit que c’est ce qu’il attendait d’un livre sur l’école. Il l’a lu et rappelé une semaine après. Il voulait l’adapter et que je co-scénarise. Laurent a un goût pour l’écriture qui s’agence autour d’une action, c’est pour cela que tout s’agence autour d’un conseil de discipline qui sera la dernière demi-heure du film. Le reste c’est une chronique. Il ne fallait pas qu’il y ait une dramatisation car dans une année scolaire il ne se passe rien, on va de septembre à juin et c’est tout.
On s’est implanté dans un collège qui ressemble à celui où je travaillais, mais qui n’est pas le mien sinon ça devenait complexe. On a trouvé une population à peu près semblable, un peu plus riche donc un peu plus blanche, tout ceci est très mécanique. On est passé dans des classes de quatrième, on a expliqué qu’on tournerait un film ici dans 9 neuf mois et qu’on avait besoin de 25 élèves.
Qui d’autre en France aurait pu réaliser ce film ?
J’ai pensé à Renoir mais il était pas dispo (rires). Sinon il y avait Kechiche, je lui ai envoyé le livre mais il n’a pas répondu. J’ai beaucoup écrit sur Cantet [Bégaudeau est critique aux « Cahiers du Cinéma »] et sur une dimension fondamentale du cinéma à savoir le respect du réel, le respect de ce que les gens ont envie de donner comme image, de ce qu’ils veulent dire. C’est le point central de son travail, il veut que les gens émettent leur propre identité. D’une certaine façon c’est l’héritier de Pialat, Eustache…
Montrer le réel, c’est un acte politique ?
C’est compliqué. Au cinéma montrer le réel passe par une procédure qui fait qu’il semble parler de lui-même. Quand Yves Boisset dans Dupont Lajoie le montre en employant la caricature, le stéréotype du beauf et qu’il emploie des thèmes horribles pour dénoncer violemment le racisme, c’est politique. C’est une vision de droite alors que le film se veut de gauche. Godard dirait que le documentaire est la vocation première du cinéma et qu’il s’est dévoyé en faisant de la fiction, ce qui est évidemment faux aussi. Dans Être et Avoir de Nicolas Philibert, il y a une volonté de s’implanter dans une niche intemporelle, on est dans la montagne. A l’inverse, avec Cantet, on est au plus proche de la réalité contemporaine. Être et Avoir, c’est un film que Cantet déteste et qui nous a pas mal servi de repoussoir.
À retrouver dans la série : Festival de Cannes 2008
- « Entre les murs » : politique fiction ? (1 octobre 2008)
- « La Frontière de l’aube » : voyage au bout de l’amor (1 octobre 2008)
- François Bégaudeau : « “Être et Avoir” nous a servi de repoussoir » (1 octobre 2008)