Nos rédacteurs Karine Baudot et Antonin Moreau étaient à Cannes. L’occasion de nous livrer en avant-première des critiques de films à sortir. Clap de départ avec Valse avec Bachir de l’israélien Ari Folman, à l’affiche depuis le 25 juin et en prélude également au 31e Gouel Ar Filmoù, le festival de cinéma de Douarnenez qui se tournera vers le Liban du 16 au 23 août.
Présenté en compétition officielle à Cannes, le documentaire historique animé d’Ari Folman a remué les esprits professionnels et cinéphiliques sans pour autant figurer au palmarès de cette 61e édition. Nonobstant, les prix flattent les élus ou créent la polémique mais ne font pas un film, à Cannes pas plus qu’ailleurs. Reste une œuvre dense qui interpénètre magistralement les frontières entre documentaire et animation.
Valse avec Bachir retrace l’expérience militaire du réalisateur israélien Ari Folman. Ex-soldat de Tsahal (l’armée israélienne) à la mémoire dissipée, il entame un voyage sur les traces de son passé, pendant la guerre du Liban en 1982. Il tente d’en reconstituer les images avec en point d’orgue le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila perpétré par des milices chrétiennes en réponse à l’assassinat du président libanais Bachir Gemayel, sous le regard indifférent (si ce n’est complice…) de l’armée israélienne.
Selon une démarche d’investigation propre au documentaire, Ari, personnage principal, interroge des acteurs réels de la guerre du Liban à la faveur de témoignages de sept participants qui l’aident à retrouver ses souvenirs dont il n’a conservé qu’un traumatisme nocturne (cauchemar récurrent de corps qui flottent sur l’eau). Que s’est-il réellement passé à Sabra et Chatila ? La question constitue le fil rouge de Valse avec Bachir. Quête introspective, multiplicité des points de vue, reconstitution historique, mais également scènes expressionnistes que permet le format animé, Ari tente de dessiner les contours d’un massacre. Résonne en substance un dialogue de Hiroshima mon Amour : « Lui : — Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien. Elle : — J’ai tout vu. Tout. » Démarche similaire : démêler ce qui participe du moulinage mémoriel intime et tenter d’exhumer l’horreur collective des évènements.
La méthode employée pour réaliser le film renforce son réalisme. En effet, d’abord tourné en vidéo afin d’obtenir un long-métrage de quatre-vingt-dix minutes, ce dernier a ensuite été animé (Flash, animation classique et 3D) à l’aide d’un story-board de 2300 dessins. Le graphisme des personnages et des lieux aux formes pleines, le travail sur les couleurs (la blancheur des paysages néerlandais qui contraste avec la sépia de braise du Liban sous les bombes), la bande-son (mixage de rock israélien et de tubes cultes comme « It’s not a love song » de PIL) participent à en faire également une œuvre à la puissance visuelle et sensorielle non formatée. In fine, le couperet tombe avec des documents d’archive de Sabra et Chatila. La mémoire fictive laisse place à l’image brute. La boucle est bouclée…