« Une vie meilleure » contre la crise

Ne pas se fier au titre du film, ni à l’affiche où Guillaume Canet enlace Leïla Bekhti (César du Meilleur Espoir en 2011 pour Tout ce qui brille). Une vie meilleure n’est pas une comédie romantique, c’est un drame social sur le surendettement porté par un bouleversant Guillaume Canet. Vu en décembre lors d’une avant-première au cinéma Gaumont de Rennes.

Leïla Bekhti et Guillaume Canet dans « Une vie meilleure »

Leïla Bekhti et Guillaume Canet dans « Une vie meilleure »

Le film démarre sur les chapeaux de roue. Yann, cuisinier en recherche d’emploi (Guillaume Canet), essaie de convaincre un patron de restaurant de l’embaucher. Trop d’empressement, un peu d’arrogance, le ton monte, échec, dépit puis colère sur le mode : « Pas assez d’expérience. Mais comment en avoir si on ne me donne pas ma chance. Pays de merde ! » Yann ne se laisse pas abattre. Il tente l’approche drague auprès de la jolie serveuse (Leïla Bekhti) qui l’a rassuré sur son énergie et sa capacité à trouver du travail. Dialogues habiles, séduction délicate, scènes d’amour discrètes et inspirées, Cédric Kahn filme vite et sans fioritures. Gros plan sur le visage heureux de Guillaume Canet à côté duquel apparaît le titre du film. Générique.

En quelques minutes, dans un condensé parfait, Cédric Kahn dessine la trame d’Une vie meilleure. Peut-on vivre une histoire d’amour, aspirer au bonheur dans un contexte socio-économique hostile ? L’amour est immédiat entre ces deux écorchés. Yann est sans attaches familiales, Nadia élève seule son jeune fils (Slimane Khettabi). À l’occasion d’une balade campagnarde au bord d’un lac, Yann voit la possibilité de réaliser son rêve : ouvrir un restaurant, dans un endroit idyllique de surcroît. Mais les nuages s’amoncellent vite. Sans apport financier, le couple s’endette à coups de crédits revolving. Et lorsque la commission de sécurité refuse l’ouverture, c’est l’engrenage…

Guillaume Canet et Slimane Khettabi dans « Une vie meilleure »

Guillaume Canet et Slimane Khettabi dans « Une vie meilleure »

Merde in France

Contrainte d’aller travailler ailleurs pour gagner plus, Nadia laisse son fils à Yann, qui se retrouve père par procuration d’un enfant perdu et difficile. « On a le choix, on a toujours le choix, on va se battre c’est tout. » L’homme a beau être une tornade qui ne désarme jamais, il se retrouve dans une spirale infernale et doit s’avouer vaincu. Sa combativité et son volontarisme, si chers à certains décideurs politiques et économiques actuels, n’y feront rien. Il est pris à la gorge, broyé par un système économique impitoyable. « On vend du surclassement social et ça produit du déclassement, explique Cédric Kahn. Le capitalisme est devenu vicieux, incapable de proposer la moindre utopie, et la survie devient la seule règle. »

Yann et Slimane, sans nouvelles de Nadia, découvrent les squats insalubres, les marchands de sommeil, les usuriers, les faux amis, les combines… Les personnes qu’ils croisent n’ont ni nom, ni prénom. Rouages anonymes, parfois sans âme et sans scrupules, d’une machine capitaliste métastasée jusqu’à la moëlle. Dans cette « guerre des pauvres », Cédric Kahn ménage quelques moments de répit qui peuvent apparaître comme des lueurs d’espoirs : superbes scènes d’une partie de pêche en mer ou d’un match de foot au Stade de France… En parallèle à sa dénonciation de mécanismes financiers vérolés, le cinéaste n’en oublie pas la chronique de mœurs (éducation et protection réciproques entre Yann et Slimane) ni le suspense (disparition de Nadia). L’équilibre est subtilement dosé, les comédiens sont formidables, en particulier Guillaume Canet qu’on n’imaginait pas dans un tel rôle de précaire, surtout après Les Petits Mouchoirs.

À relire : un entretien avec Cédric Kahn réalisé en 2004 à l’occasion de la sortie de « Feux Rouges ».
Éric Prévert