« Le Tigre » change de peau et lance une nouvelle formule. Cet étonnant magazine au journalisme exigeant, à la curiosité décalée et au graphisme soigné paraît désormais un samedi sur deux. À partir de la mi-mars, une collection de livres accompagnera le journal.
Le sourire béat qui s’est étalé sur mon visage a laissé totalement indifférent l’homme à qui je cachais le présentoir des hebdos : ce qui lui importait, c’était que je libère l’accès à ce qui l’intéressait lui. Oui mais voilà. Cela faisait un moment que je cherchais mon Tigre, et bien que l’heure de départ de mon train se rapprochât dangereusement, il me fallait savourer cet instant, quitte à vexer un cuistre en costume — on est toujours le con de quelqu’un. Il faut dire que j’avais bêtement perdu du temps en cherchant Le Tigre à sa place habituelle, c’est-à-dire quelque part entre les news-magazines et les mensuels d’information spécialisée. C’était sans compter avec le sens de la repartie graphique des glorieux éditeurs de cet enthousiasmant journal : la nouvelle formule du Tigre est vraiment une nouvelle formule. Nouvelle périodicité, nouveau format (dit berlinois), évidemment nouvelle mise en pages, et nouvelles rubriques.
Peu féru d’éthologie, je ne sais si le tigre est un animal imprévisible. Son avatar de papier (qui dispose par ailleurs d’un site internet à son image) cultive en revanche ce caractère comme un des beaux arts — ses créateurs, Lætitia Bianchi et Raphaël Meltz, ont déjà à leur actif la revue alphabétique R de réel, publiée de 2000 à 2004 à raison d’un numéro par lettre de l’alphabet. À son lancement en mars 2006, Le Tigre fut d’abord hebdomadaire et en noir et blanc. En 2007, il devint mensuel et fit une place à la couleur, puis porta, l’année suivante, sa parution au rythme bimestriel, ce qui lui permit de publier des numéros dépassant les cent pages. Celui daté novembre-décembre 2009 annonçait le changement prévu pour 2010 : depuis le samedi 13 février, veille de la Fête du printemps qui marque l’entrée dans une nouvelle année chinoise placée sous le signe des rayures, Le Tigre est quinzomadaire. Pas bimensuel : quinzomadaire. C’est-à-dire qu’il ne paraît pas deux fois par mois, mais un samedi sur deux — et cela n’est pas tout à fait la même chose, convenons-en.
Toujours dépourvu de publicité et d’actualité culturelle, Le Tigre nouvelle fourrure propose, dans une maquette à l’élégance rare, un savant mélange d’interventions, de reportages et entretiens, de séries et de jeux, de dessins et de photos. Au sommaire du premier numéro, on signalera par exemple un texte de Michel Butel, écrivain et fondateur de L’Autre Journal, le lancement de séries sur la lutte des ouvriers de l’imprimerie du Monde, Diam’s et les coiffeurs africains du quartier Château d’eau à Paris, une série de photos de Patrice Normand, une leçon de cuisine à l’attention de Google, le reportage à cent euros de Nicolas Richard. On retrouve avec plaisir des extraits de L’Autofictif d’Éric Chevillard, une bande dessinée de Killoffer et un dessin de Morvandiau, les détournements de Walter Lewino et l’énigme de Paul Martin. En pages centrales, l’affiche de ce premier numéro est confiée à Jochen Gerner. Enfin le « grand papier » des pages 3 et 4 est un long et remarquable entretien avec Lakhdar Boumediene, humanitaire bosniaque qui a passé plus de sept ans sans motif dans les geôles de Guantanamo.
Bref : La Griffe aime Le Tigre et c’est bien naturel. Le Tigre coûte 2,5 euros un samedi sur deux, prochain numéro le 27 février. Ce n’est pas cher, car il faut garder un peu d’argent pour la collection des livres du Tigre, liés au contenu du journal : 25 parutions par an, 6 euros chaque (abonnement global ou séparé possible). Premières parutions le 16 mars avec Petites vies des grands hommes de Lætitia Bianchi et Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes (Portraits au travail, 1) d’Hélène Briscoe.