Magma, un point c’est tout

Le groupe de Christian Vander fête ses 40 ans et s’arrête à Rennes. Amateurs de zeuhl et profanes, tous à la Salle de la Cité !

« Ëmehntëhtt-Rê » (2009)

« Ëmëhntëhtt-Rê » (2009)

Le plus difficile, quand on écrit un article sur Magma, est peut-être de lui trouver un titre. Nous aimons bien les jeux de mots, à La Griffe. Mais, dans ce domaine, quoi de mieux que « Magma, c’est pas la musique à pagpa », utilisé il y a déjà dix ans dans nos colonnes pour un entretien avec Christian Vander ? Faut-il chercher une formule tentant de décrire le style du groupe ? C’est ce que Magma fait pour sa propre communication, avec le slogan « Musique des forces de l’univers » et, franchement, là non plus, on n’a pas mieux. L’image pourra paraître pompeuse ou prétentieuse à celui qui n’a jamais prêté l’oreille à cette singulière formation. Mais elle frappe par son évidence quand on s’est un tant soit peu penché sur le cas Magma.

Si l’on voulait simplifier à l’extrême, on pourrait dire que Magma est un groupe de rock mené par un batteur de jazz. Le rock étant à tendance expérimentale et le jazz marqué par l’ombre de John Coltrane. Avec des influences pop et classiques qui s’expriment par le recours quasi-systématique au chant « choral » et aux longues compositions (souvent plus de dix minutes et jusqu’à trois quarts d’heure). Tout cela évoque la grande famille du jazz-rock expérimental, où l’on croise aussi Yes, King Crimson ou Genesis première manière. Mais Magma occupe une place à part dans cette galaxie. Pas seulement parce que le groupe, même s’il est internationalement reconnu et souvent cité comme influence, n’a jamais connu le succès mondial des précités. Mais aussi parce que Magma est un style à lui tout seul, la zeuhl, fait de lancinants ostinatos portés par un souffle profond, d’harmonies vocales galvanisantes chantées en kobaïen, langue inventée pour le groupe, dont l’effet est proche de celui des meilleurs discours révolutionnaires (ou sectaires, diront les sceptiques), de progressions musicales toutes en tension débouchant sur des finaux hypnotiques ou des cassures ramenant la sérénité au devant de la scène.

Magma, tournée 2009 — photo Marco Tchamp

Magma, tournée 2009 — photo Marco Tchamp

Au rock, Magma emprunte sa puissance. Au classique, la complexité des structures et des compositions. Au jazz, l’improvisation, l’expérimentation… et la longévité ! Car s’il est difficile de trouver des groupes de rock qui restent pertinents après quarante ans de carrière, Magma, fondé en 1969, demeure une référence. Mieux : une pépinière. Environ cent cinquante musiciens sont passés par le groupe, y ont fait leurs armes avant de partir sur d’autres routes. Jannick Top, Klaus Blasquiz, Bernard Paganotti, Claude Engel, Dominique Bertram, Francis Moze, Simon Goubert, Benoît Widemann (entre autres) ont fait vivre Magma, qui étonne par sa capacité à dénicher de jeunes musiciens talentueux, qui participent à l’évolution du style sans en changer les fondements.

La formation actuelle, renouvelée en 2008 et qui a enregistré Ëmëhntëhtt-Rê, nouvel album sorti cette année, illustre parfaitement cette constante. Autour de Christian Vander (batterie, chant, compositions) et de sa femme Stella (chant), piliers du groupe, on retrouve Isabelle Feuillebois (chant), Philippe Bussonnet (basse) et James Mac Gaw (guitare), et l’on découvre Hervé Aknin (chant), Benoît Alziary (vibraphone) et Bruno Ruder (Fender Rhodes). Les différences de générations ne comptent pas : en concert, à l’Alhambra (Paris) début décembre, le groupe fait preuve d’une très grande cohésion. Et pour les grincheux qui voient dans l’aspect martial de certains passages de Magma de louches résurgences, un seul conseil : les voir sur scène. Ces musiciens-là sont certes très concentrés, mais ils ont visiblement du plaisir à jouer ensemble, et Christian Vander ressemble plus souvent à un lutin qui ferait des farces à ses camarades qu’au tyrannique gourou qu’on décrit parfois.

Comparativement aux tournées précédentes, et notamment celle qui reprenait la trilogie Mekanïk Destruktiw Kommandöh, c’est un Magma à première vue apaisé qui fête ses quarante ans. Pendant la première moitié du concert, Christian Vander apparaît plus comme un peintre que comme l’architecte autour duquel jaillit Magma. Peu de rythmiques en tant que telles, mais une forme d’illustration sonore à partir essentiellement d’une large palette de cymbales, très finement jouées. Le ton est sombre, parfois presque mat, le jeu tout en retenue, les attaques et les résonances subtilement dosées, laissant une grande place aux autres instruments. Ce n’est qu’en deuxième partie que revient la sauvagerie que l’on aime chez Magma, qui ne porte jamais aussi bien son nom que dans ces longues plages où l’on sent le groupe emporté par un courant tellurique irrépressible. La batterie au centre, le grondement sourd de la basse et du Rhodes d’un côté, les riffs de la guitare et du vibraphone de l’autre tissent un dense tapis qui permet aux voix d’exprimer pleinement toutes les « forces de l’univers » dont Magma se revendique et que quiconque, sur ce terrain, ne peut lui disputer.

Le 18 décembre 2009 à Rennes (Salle de la Cité, 02 23 62 21 07), avec en première partie L’Effet Défée.
CD : « Ëmëhntëhtt-Rê » (Seventh Records)
Sites internet : Seventh, Myspace, magma40ans.com
Loïc Ballarini