Et si l’antidote au comportement hypnotisé du consommateur déresponsabilisé se trouvait dans les objets eux-mêmes ? C’est le paradoxe auquel des designers et artisans de l’association Libre art bitre s’attaquent, dans une exposition à la galerie Mica de Saint-Grégoire et aux halles centrales de Rennes.
« Construire autrement », « Écologie et liberté », « Objectif décroissance », « L’Insurrection qui vient ». À l’entrée de la galerie Mica de Saint-Grégoire (35), le préambule de l’exposition « Valeurs refuges » est un mur en triply punaisé de textes et d’affiches qui brassent les -ismes de gauche. Un militantisme livré de plein fouet qui place sans équivoque l’association Libre art bitre, organisatrice de l’exposition, sous une bannière engagée. Mais l’introduction peut surprendre quand au bout de ce mur des bonnes intentions sont exposés des objets de design ornés de dorures, symboles possibles de cette société de consommation qui trouve dans l’obsession de la « déco » l’un de ses avatars les plus fructueux.
Cependant préjugé d’hypocrisie serait ici une erreur. Les designers de Libre art bitre posent au contraire une réelle problématique de production et de consommation qui a le mérite de son audace. En effet, prenant le contrepied d’un discours politique comme une fin en soi, ceux-là ont de la suite dans les idées. Comment mieux répondre à lalogique d’hyper-production et d’hyper-consommation qui ravage la planète, les rapports Nord-Sud et le lien social qu’en expérimentant des alternatives ? Ainsi, l’objectif de déplacer le rapport du producteur au consommateur prend ici la forme d’un dialogue entre les savoir-faire, les matériaux et les goûts, avec l’ambition avouée de muter l’acheteur aliéné en « amateur responsable ».
Il y a un an, la galerie Mica proposait à Libre art bitre une expérience spécifique : quatre designers étaient invités à créer des objets avec la collaboration de quatre artisans, menuisier ébéniste, doreur, tourneur sur bois et marqueteur. Une seule contrainte : l’or. Une matière quasiment absente de l’atelier des designers, les condamnant à l’exercice de style. Ainsi, le titre de l’exposition raisonne-t-il malicieusement dans cette apparente équivoque : l’or et l’art étant des valeurs refuges en temps de crise, ils offrent aussi un refuge (au sens d’asile) dans un contexte de perte des valeurs !
Ce modèle de production qui troque la logique industrielle contre un retour dans l’atelier des savoir-faire traditionnels, et le créateur-auteur contre un processus de collaboration, se traduit par des objets précieux qui suggèrent de nouveaux standards d’acquisition. Détournant l’ostentatoire de la dorure, ils se matérialisent dans de petites pièces − celles imaginées par Joachim Jirou-Najou tiennent dans la main. Vide-poche, boîte à secrets et à souvenirs supposent un rapport réincarné aux objets, une valeur « refuge » et sentimentale. Certains induisent un usage ludique, comme les patères de Philippe Million dont les dorures disparaissent dès qu’on y pose un vêtement, dans un jeu de cache-cache. Répondant à un souci écologique, ces objets symbolisent leur intégration au monde par un principe d’équation plutôt que d’addition. A+B=C, selon David Dubois, qui propose des perles d’ornement à enfiler sur les plantes ou un miroir à greffer sur un vêtement. On croisera aussi sur une boîte de conserve recyclée, coiffée d’un couvercle doré, parangon de la « valorisation des déchets ».