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« Les Beaux Gosses » : « Bien fait pour ta gueule ! »

Ni purement sardonique ni totalement élégiaque, l’empathie amusée de Riad Sattouf fait des merveilles en passant de la planche à l’écran. Une belle vengeance pour tous les outsiders de la cour de récré.

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Ces Beaux gosses font du bien. En effet, on n’a pas souvent l’occasion de s’extasier devant une comédie française. Pour toutes les adaptations de personnages de sketches télévisuels ou pour les énièmes resucées de structures de comédies éculés, combien de films de Michel Hazanavicius, d’Emmanuel Mouret ou de Pierre Salvadori ? Il faut saluer le courage de ces derniers qui doivent batailler ferme pour imposer une qualité d’écriture et de mise en scène dans une industrie qui, concernant la comédie, s’en embarrasse très peu. Elle aurait tort de le faire : une comédie pour peu qu’elle comporte une vedette adéquate, remplit systématiquement les salles. C’est d’ailleurs une spécificité bien gauloise de les voir toujours trôner en haut de son box office…

 

Il en est plus rarement de même aux Etats-Unis par exemple, alors même que sa production en la matière est en ce moment au beau fixe. La bande à Jud Apatow (40 ans toujours puceau, Supergrave, Ron Burgundy et la superbe série inédite en France Freaks and Geeks) ayant fait souffler le vent de fraîcheur nécessaire pour dépoussiérer les clichés de la comédie américaine. Et c’est immédiatement aux films américains issus de cette mouvance (et particulièrement Supergrave) auxquels on pense devant Les Beaux Gosses. Non pas qu’il en soit le pur décalque français, mais plutôt qu’il y plane un même souci naturaliste sur leur sujet commun, l’adolescence. Il s’agit donc pour Sattouf de mettre à mal les clichés sur cette tranche d’âge véhiculés par le cinéma de ces dernières décennies. Car être adolescent au cinéma jusqu’ici c’était majoritairement être jeune et sexy et plus ou moins en conflit avec l’autorité. C’est d’ailleurs un socle commun à Hollywood à travers le genre que les Studios lui ont dévolu (le teen movie), et à des cinéastes tels que Gus Van Sant ou Larry Clark. A la différence que ces derniers vont chercher leurs interprètes chez de vrais adolescents. Car il faut le souligner, être adolescent au cinéma c’est quand même souvent avoir la vingtaine bien tassée ! James Dean, dans un des films annonciateurs de la vague adolescente du cinéma contemporain, La Fureur de vivre, continuait à aller au collège à 24 ans ; quant à Daniel Auteuil dans les Sous-Doués, il passait son bac à 30.

 

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Il y avait donc beaucoup à attendre de Riad Sattouf qui nous avait montré à travers ses bandes dessinées, et en particulier La vie secrète des jeunes , qu’il n’avait pas son pareil pour conjuguer son sens aiguisé du comique à une observation pleine d’empathie pour le monde adolescent dans toute sa diversité (mais plus particulièrement pour ses «intouchables»). Et le moins que l’on puisse dire c’est que le résultat est au-delà de nos espérances. On retrouve transposé à l’écran tout l’art du dessinateur. Un art funambule constamment sur le fil entre la recherche d’une efficacité comique dans la caricature et la justesse d’observation documentaire, c’est-à-dire une façon de ne jamais sacrifier ses personnages sur l’autel du gag (tout comme chez Apatow). Ainsi, tout pitoyable que puissent paraîtrent les personnages, Les Beaux gosses parvient constamment à surprendre en faisant éclore une émotion sincère dans des scènes que l’on pourrait croire a priori entièrement dévouées à un dénouement gaguesque.

 

Le film, pourtant inscrit dans une intrigue commune à beaucoup de teen movies (objectif : rouler des pelles, et plus si affinités), n’est ainsi jamais exactement là où on l’attend. Il y a un vrai génie dans l’écriture et la mise en scène à toujours déplacer le centre dramatique d’une scène d’un objet à l’autre, en privilégiant d’un coup un de ses personnages secondaires par un plan, une réplique ou un mouvement de caméra (voir la très belle scène où Camel, bien que distancié par le bus dans lequel Hervé et Aurore s’embrassent goulûment, devient le centre de l’attention de la caméra). Loin de toutes velléités démiurgiques trop surplombantes, il y a un plaisir communicatif chez Sattouf à juste poser son regard sur ses personnages. C’est pourquoi cette chronique adolescente ne s’embarrasse pas d’une structure dramaturgique trop contraignante qui aurait été un frein à sa puissance documentaire. Un souci que l’on retrouve également dans la forme du film, volontairement sèche et terne comme un antidote à l’éclat artificiel des comédies françaises contemporaines (l’esthétique cache misère de la grammaire télévisuelle). Un contre-pied voisin de celui opéré par les auteurs de ce que l’on appelle communément la Nouvelle bande dessinée qui, de Trondheim à Blutch en passant par Blain et Sattouf lui-même, ont tous pour point commun de toujours privilégier la justesse du trait à l’immédiate beauté plastique du dessin. Jusque dans sa musique étonnamment lo-fi (signée par le réalisateur et Flairs, et qui partage un imaginaire similaire à celle de Sébastien Tellier et Quentin Dupieux sur le génial Steak), Les Beaux Gosses s’offre dans un écrin très brut à même de mettre en valeur l’objectif principal du cinéaste : rendre justice au si bien nommé âge ingrat.

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On aura en effet rarement filmé avec autant de justesse ces corps intermédiaires, que ce soit dans leurs montées de sève empêchées, leurs aveuglements sentimentaux, leurs luttes de pouvoirs, leur langage, et surtout leur conformisme maladroit... Ni purement sardonique, ni totalement élégiaque, l’empathie amusée de Riad Sattouf fait encore des merveilles et venge au passage tous les outsiders de la cour de récré. A ce titre, on ne risque pas d’oublier de si tôt le cri du cœur du formidable personnage de Mohammed devant le corps meurtri du seul véritable beau gosse du film : « Bien fait pour ta gueule ! ». La revanche des geeks continue...

« Les Beaux Gosses » de Riad Sattouf, France, 1h30, sortie en France le 10 juin 2009.
« La Vie secrète des Jeunes » est édité par L’Association [1].
À retrouver dans la série : Festival de Cannes 2009