Le guitariste et chanteur nigérian se produit à Nantes, Brest et Rennes. Alors que ses derniers albums exploitent une veine plutôt mélodique, ses concerts sont toujours aussi énergiques. Si le son est bon, le plaisir est garanti.
Plus les années passent et plus Keziah Jones semble développer une carrière à deux facettes. D’un côté, des concerts toujours aussi énergiques. De l’autre, des albums de plus en plus léchés et aux sonorités pop marquées. Si la formation des concerts de Nantes, Brest et Rennes est la même que lors du festival Art Rock au printemps dernier, cette tendance ne pourra que se confirmer. À Saint-Brieuc, où il se produisait en avant-première à la sortie de son nouvel album Nigerian Wood, dans les bacs depuis septembre, Keziah Jones n’était accompagné que d’un bassiste et d’un batteur. Lui-même étant un guitariste au jeu des plus percussifs, goûtant peu les solos mais excellant dans les rythmiques syncopées, le résultat était indéniablement du côté explosif du personnage. Le son du groupe n’était malheureusement pas à la hauteur, et, compression et volume exagéré aidant, on avait souvent l’impression de n’entendre que les attaques, mais sans les notes qu’elles étaient censées servir.
Or Keziah Jones n’est pas que ce félin bondissant toujours prêt aux cabrioles les plus spectaculaires, celui qu’avait par exemple très bien saisi le mini-album en public Live EP sorti en 1993. Dès son premier album, Blufunk is a fact! (1992), sur lequel figure le tube « Rythm is love », il avait aussi montré son talent de mélodiste, et les capacités de sa belle voix, notamment dans des aigus pleins de sensualité. Il n’a cessé par la suite de creuser ce sillon, d’abord de manière marginale dans le plus sale African Space Craft (1995) et dans le plus expérimental (et moins abouti) Liquid Sunshine (1999), avant d’en faire le fil directeur des lumineux Black Orpheus (2003) et Nigerian Wood (2008). Dans ces deux derniers disques, Keziah Jones assume pleinement le côté pop de sa musique : refrains accrocheurs, chœurs, mélodies dansantes, son plus travaillé, instruments invités (la clarinette dans « AfroSurrealismForTheLadies » sur Black Orpheus, par exemple).
Cela ne signifie pas que Keziah Jones se renie ou que « c’était-mieux-avant », au contraire : ce parcours est passionnant, justement parce qu’il pousse vers d’autres dimensions l’essence blues-funk de sa musique, tout en restant éloigné de la soupe commerciale prétendument world-music. La meilleure preuve en est peut-être, paradoxalement, la formule radicale qu’il choisit sur scène. Ce qui pourrait apparaître comme une contradiction peut en effet aussi s’interpréter comme la volonté, pour un artiste, d’exploiter pleinement les possibilités offertes par les différents supports. Aux albums la recherche, le temps de la réflexion et les subtilités de la production. À la scène l’urgence, la fièvre, l’énergie à partager durant un moment court mais intense. Sur disque, les caresses ; sur scène, la claque. L’un n’étant jamais loin de l’autre : les mélodies enregistrées sont toujours basées sur des rythmiques syncopées, et en public, il y a toujours quelques titres en solo où la douceur reprend le dessus. Dr Keziah et Mr Jones proposent une complexe dualité, dont la fréquentation est très profitable. À condition toutefois que le son live fasse honneur au groupe.