Régïs Boulard, hors des sentiers battus

Bien qu’il ait disposé ses fûts aux côtés de Marcel Kanche, Les Têtes Raides, Daniel Pabœuf, Marc Gauvin, Noël Akchoté, Sons of the Desert…, le batteur Régïs Boulard n’en est pas moins rare. Raison de plus pour aller le voir les 6 et 7 octobre à Rennes au sein de deux groupes différents : le trio Chien Vert, et le collectif Trunks.

Méconnu, le batteur Régïs Boulard n’en est pas moins prolifique. Compagnon de route de musiciens très divers, il imagine également des spectacles singuliers issus de ses propres albums. Après Streamer en 2006, il a créé le trio Chien Vert en 2009. Une première version de cet article avait été publiée à cette occasion dans le magazine rennais Sortir, désormais défunt. Depuis, Chien Vert a sorti un nouvel album en janvier 2011 intitulé Radio Dog.

Régïs Boulard — photo Christophe Le Dévéhat

Régïs Boulard — photo Christophe Le Dévéhat

Rock around the bunker

Chien Vert est la traduction de « Dog Green », le secteur le plus sanglant d’Omaha Beach lors du débarquement allié le 6 juin 1944. « C’est l’endroit où il y eut le plus de morts en moins de temps, raconte Régïs Boulard. Mon père vivait à quelques centaines de mètres derrière cette plage. » Les histoires de familles irriguent les rythmes de ce quadra engagé : Streamer était un hommage à son grand-père assassiné par la Gestapo.

Streamer nécessitait une grande formation, Chien Vert est un trio, dont l’album s’intitule Les Touristes. La musique est libre, les mélodies envoûtantes, les musiciens parfaits (Stéphane Fromentin guitariste, Nicolas Méheust bassiste-claviériste). Ce disque formidable ne sera cependant pas chroniqué dans certains médias bretons. La faute au texte que Régïs Boulard a écrits dans le livret. Une diatribe contre le tourisme, « aboutissement moderne du fascisme. » « C’est peut-être une maladresse, confie-t-il. Je ne sais pas si je le mettrais en ressortant le disque aujourd’hui. Il brouille l’écoute. »

C’est pourtant un grand texte politique aiguillonné par cette époque délétère « dans un pays où il y a un ministère du Tourisme et un ministère de l’Identité Nationale. Et tout le monde est content. » « C’était l’occasion d’ouvrir ma gueule, mais je m’épuise à écrire. Il faut que j’arrête de me battre contre, plutôt me battre pour. Arrêter de porter des fardeaux qui ne sont pas les miens. Le prochain disque sera de la musique pour de la musique. »

Régïs Boulard — photo Christophe Le Dévéhat

Régïs Boulard — photo Christophe Le Dévéhat

Hors-normes

Le disque a été enregistré d’une traite près de Rennes dans la maison des parents du producteur (Cédric Gonod, homme lige de Miss Mary Mack). Chien Vert veut retrouver cet esprit sur scène : « Pas de retours, juste la stéréo, un peu de lumière, un peu d’images projetées. Je veux qu’on soit mobile, capable de jouer n’importe où, sans ingé son, avec juste les deux amplis. C’est de la musique facile. » Qui s’écoute aisément certes, mais très élaborée. Sur le disque, les titres s’enchaînent, quasiment sans blanc. « En concert, un fil de sons sera toujours présent. Quand il y aura un trou, il sera cruel. J’aime ce processus mis en place avec Streamer : tu improvises et cela devient du répertoire. »

Un répertoire que Régïs Boulard qualifie de rock progressif, mais qui puise dans sa gigantesque culture. « Je suis l’enfant du punk, du prog’ et du free. Magma, les Who et Joe Dassin sont tous aussi importants pour moi ; je ne fais pas de hiérarchie. La première fois que j’ai entendu l’Art Ensemble of Chicago j’avais l’impression d’être à la maison. Albert Ayler, c’était les fanfares à la campagne chez mes grands-parents costarmoricains. »

Un éclectisme qu’on retrouve dans ses choix du moment : « J’écoute beaucoup l’album Third de Portishead, je n’arrive pas à en faire le tour. Zone Libre me bouleverse, Bed me touche énormément. Arm, le chanteur de Psykick Lyrikah, c’est l’honneur du rap français ; quand il joue avec Robert Le Magnifique, ça me retourne. » Encore de nouvelles collaborations en perspective ? « Le problème, c’est que mon intermittence arrive à échéance. Je dois me recentrer, ne plus m’éparpiller juste pour le plaisir de la musique. Depuis que j’ai commencé à dire non, je me sens beaucoup mieux. »

Chien Vert jeudi 6 octobre 2011 au Théâtre du Vieux Saint-Etienne (avec la Terre Tremble ! en invité)
Trunks vendredi 7 octobre 2011 aux Ateliers du Vent (dans le cadre de l’événement Lydia Lunch)
Éric Prévert