« Allons-y ! Alonzo ! » : mélancolie pop

Dévolue à des hommages en animation à de grandes figures du cinéma, la série « Animator’s Studio » produite par Vivement Lundi s’enrichit  d’un nouvel opus consacré à Jean-Paul Belmondo, avec le très beau Allons-y ! Alonzo ! de Camille Moulin-Dupré.

En choisissant Jean-Paul Belmondo comme figure iconique, Camille Moulin-Dupré profite d’un acteur qui aura été consécutivement l’acteur moderne nouvelle manière (le naturel avant la technique) de la Nouvelle vague, puis Bébel, le héros d’action inventé par Philippe De Broca  qu’aura fait fructifier une bonne partie du cinéma populaire des années 60-70. Deux visages très différents qui permettent à Allons-y ! Alonzo ! de couvrir un spectre assez large du cinéma français : des audaces formelles de son avant-garde à la force spectaculaire de son « cinoche ». C’est donc à un véritable voyage fantasmatique dans l’histoire du cinéma français que Allons-y ! Alonzo ! nous convie. Les différents tableaux structurant ce flashback de course poursuite rêvée par le Belmondo d’aujourd’hui (version Un Homme et son chien donc) renvoient à  autant d’univers, de Jean-Luc Godard à Henri Verneuil en passant par De Broca. Autant de signes, de figures, d’ambiances qui, dialoguant entre eux, forment une sorte de film pop à la française. Ici se situe la très grande originalité du film, car quand le cinéma français se prête à l’esthétique pop, celui-ci travaille en général un imaginaire lui étant étranger, comme si l’imaginaire français était inexistant. Rappelons d’ailleurs que les deux précédents opus de la collection « Animator’s Studio » concernait deux immenses icônes étrangères : Robert Mitchum et Bruce Lee.

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Il y a habituellement, en effet, comme une timidité dans le cinéma français à s’emparer de son histoire. Déjà, les cinéastes cinéphiles de la Nouvelle Vague, qui furent les premiers à user de citations cinématographiques dans leurs films, convoquaient essentiellement le cinéma hollywoodien (un seul exemple : le geste du pouce sur la lèvre repris par Godard et Belmondo à Humphrey Bogart dans À bout de souffle). À quelques exceptions notables (notamment Christophe Honoré autour de la Nouvelle vague), il en est toujours majoritairement de même dans le cinéma français contemporain. Peut-être faut-il y voir une réticence, propre aux auteurs français, à oser reprendre trop frontalement et de façon non parodique, les figures de leurs confrères en les affranchissant des films qui leur ont donné naissance.

Cette déférence respectueuse envers les œuvres est un complexe auquel le cinéma américain, par exemple, est totalement étranger, lui qui, depuis le début, élabore un imaginaire constitué de figures et formes dans lequel ses auteurs puisent allègrement (comme dans celui du cinéma étranger d’ailleurs) et que les spectateurs sont invités à reprendre à leur compte (la fameuse universalité du cinéma hollywoodien). C’est  ce qui marque en premier dans Allons-y ! Alonzo ! : cette fraîcheur à s’emparer d’une iconographie très française sans aucun complexe et surtout sans déférence aucune pour leur statut culturel. Car l’esthétique pop ne se préoccupe pas de  comparer la qualité artistique  de ses objets. Pour elle, Jean-Luc Godard et Henri Verneuil se valent, il est possible de les sampler de façon identique, seul compte le résultat final. Et on ressent une vraie joie dans ce film à voir se mélanger ces univers et les émotions différentes qui en découlent...

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Le film dépasse d’ailleurs le cadre du cinéma, en reprenant la grammaire de la bande dessinée, à travers notamment une utilisation ludique et très inventive du split-screen, mais surtout en lui empruntant un de ses principaux héros, Tintin. Cela a beaucoup été dit et analysé, une des forces du personnage d’Hergé est d’être une figure absolument creuse sans réelle identité, une pure force motrice de récits menés tambour battant. C’est sur ce dernier point que Tintin fut une source d’inspiration pour beaucoup de héros (d’Indiana Jones à l’Homme de Rio justement), et par là même une figure qui se prête à toutes les récupérations et adaptations. En fusionnant Belmondo et Tintin, et à travers eux le cinéma et la bande dessinée (le film reprend un trait « ligne claire »), Camille Moulin-Dupré dessine une possible cartographie rêvée d’une pop culture à la française (ou plutôt francophone). Extrêmement dynamique dans sa conception Allons-y ! Alonzo ! est aussi empreint d’une mélancolie qui achève de faire de lui une très belle réussite profondément originale.

« Allons-y ! Alonzo ! », de Camille Moulin-Dupré, 2009, 7′53.
Le film fait partie de la sélection « En avant pour Douarnenez », un avant-goût du Festival du film de Douarnenez. Diffusion le  19 juillet 2009 à Quelven (56, café Aux Anges) et le 8 août à Trédrez-Locquémeau (22, café Théodore).
« Allons-y ! Alonzo ! » concourt également pour Arcipelago, festival romain du court-métrage. Il est visible en ligne à cette adresse et soumis au vote des internautes jusqu’au 11 octobre 2009.
Antonin Moreau