« Beaucoup de bruit pour rien » : les 26 000 Couverts mettent les pieds dans le plat

Réputée pour son insolence, la compagnie 26 000 Couverts s’attaque pour la première fois à Shakespeare. Pour un spectacle aussi lumineux que perturbant, qui souligne l’urgence à ne pas se laisser enfermer dans l’institution.

« Beaucoup de bruit pour rien », cie 26000 couvertsAu milieu des années 90, Philippe Nicolle et Pascal Rome (qui a créé depuis la compagnie OPUS) inventent avec quelques complices les 26 000 Couverts. Une troupe qui envisage le théâtre comme une utopie, considérant « qu’il ne va pas de soi ». Généreux et provinciaux, les 26 000 Couverts manient la provocation et la farce avec une virtuosité que beaucoup leur envie. Allergiques aux cadres, ils poussent le théâtre de rue vers de nouvelles voies en investissant des gymnases ou des supermarchés, placent l’acteur au centre de leurs univers et mélangent critique sociale hyperréaliste et bouffées délirantes. Avec Beaucoup de bruit pour rien, ils osent désormais une percée dans les salles de théâtres en batifolant avec Shakespeare, la montagne sacrée que tous les metteurs en scène gravissent en signe de maturité.

Dirigé par Philippe Pehenn, ce spectacle emprunte autant au maître anglais qu’au happening. Il transforme une comédie légère du XVIIe siècle en une tragédie loufoque qui détraque les alarmes incendies pour tester la patience du public. Cet exercice périlleux, pratiqué avec un art consommé du décalage et de l’élégance humoristique, transforme les spectateurs en un collectif obligé de faire face à l’adversité. Chacun peut sortir de sa passivité pour prendre part aux débats ou quitter les lieux en claquant la porte. Au milieu de l’hilarité générale, les conventions subissent un bombardement en règle et l’histoire de la pièce n’apparaît plus qu’en filigrane. Seul l’esprit de Shakespeare est préservé. Loin de tout pastiche, les 26 000 Couverts célèbrent sa dimension festive et subversive, jouent avec des procédés que l’auteur affectionnait, comme la mise en abîme du théâtre, pour nous entraîner vers un final somptueux qui n’a rien a envier à une cérémonie païenne. Sur la brochure qui accompagne Beaucoup de bruit pour rien, une citation de Zola résonne après coup avec justesse : « Chaque fois qu’on voudra vous enfermer dans un code en déclarant ceci est du théâtre ; répondez carrément le théâtre n’existe pas. Il y a des théâtres, et je cherche le mien. »

Du 30 septembre au 3 octobre 2008 à Quimper (Théâtre de Cornouaille).
Article précédemment paru dans « La Griffe » Lettre d’infos nº2 (octobre 2008)
Jérôme Thiébaut

Auteur : Jérôme Thiébaut