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« Holy Motors », la promesse de l’aube

13 ans après Pola X, 21 ans après Les Amants du Pont-Neuf, Leos Carax signe avec Holy Motors un cinquième long-métrage fascinant de bout en bout. Que dire de ce collage à la fois lent et fulgurant qui, de l’aube à la noirceur de la nuit, ne cesse de porter la promesse de lendemains nouveaux, bien que toujours répétés ?

Eva Mendes et Denis Lavant

On pourrait dire, mais on l’a déjà dit, qu’on avait failli attendre : 13 ans entre deux films, il nous a manqué, Carax.

On pourrait dire que l’annonce des retrouvailles de Leos Carax avec Denis Lavant, acteur fétiche de ses premiers films (Boy Meets Girl en 1984, Mauvais Sang en 1986, Les Amants du Pont-Neuf en 1991), laissait présager du meilleur. Il faut dire que lesdites retrouvailles avaient été amorcées en 2008, dans une des trois parties de Tokyo !, film partagé avec Bong Joon-Ho et Michel Gondry. Lavant y campait pour la première fois M. Merde, que l’on retrouve dans Holy Motors [1].

On ne saurait dire l’excitation qui suivit la nouvelle que Denis Lavant interpréterait non pas un, mais onze rôles dans ce nouveau film de Leos Carax.

On doit dire qu’Édith Scob y est également magnifique.

On pourrait dire que si le monde était un spectacle, alors ses coulisses, les loges des acteurs, seraient situées dans de longues limousines blanches sillonnant Paris de représentation en représentation. Holy Motors serait un documentaire suivant la limousine de M. Oscar (Denis Lavant), pilotée par Céline (Édith Scob).

On pourrait dire la beauté des cadrages, l’intelligence des déplacements, la finesse des lumières — ou plutôt des ombres.

On pourrait dire l’extrême attention portée au son, ainsi que la rareté des dialogues, qui les rend d’autant plus précieux qu’aucun mot n’y est de trop.

On pourrait dire que si le cinéma, c’est le temps, Leos Carax ajoute que le cinéma, ce sont des corps. Que dans une industrie qui a tendance, comme la télévision, à ne filmer que des visages, ou au mieux des bustes qui discutent en champ-contrechamp, Leos Carax rappelle qu’un acteur dispose d’autres atouts — mains, jambes, pieds, dos… Lui seul sait tourner ainsi autour des corps de ses personnages. Corps entiers, découpés, lisses ou ridés, fêlés et abîmés, triturés. Objets de jeu et d’attention. Vivants.

On pourrait dire qu’un film n’a pas nécessairement à raconter une histoire, ni à défendre une thèse. Holy Motors ne démontre rien. Il montre, et la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. « Mais si plus personne ne regarde ? », demande Monsieur Oscar.

On pourrait dire que, sorti le 4 juillet, Holy Motors est encore, le 1er août, à l’affiche dans 19 salles de Bretagne. Face aux rouleaux-compresseurs de l’été, ça n’est pas rien. Le cinéma, ce sont aussi des publics.

On pourrait dire qu’un film réunissant Kylie Minogue (dans un beau rôle parlé-chanté-marché), Neil Hannon (à la musique), Bertrand Cantat et Doctor L. (en musiciens d’entracte), il n’y en aura probablement pas d’autre.

On pourrait dire que des films réunissant Leos Carax et Denis Lavant, on en voudrait d’autres. Dans dix ans s’il le faut, mais d’autres.

On va dire qu’en attendant, on va retourner voir celui-ci.