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« La Frontière de l’aube » : voyage au bout de l’amor

Suite de nos avant-premières cannoises avec le dernier long métrage de Philippe Garrel, La Frontière de l’aube, qui a défrayé la chronique lors du festival et qui sort le 8 octobre. En novembre, nous vous parlerons des nouveaux films de Clint Eastwood (L’Échange) et James Gray (Two Lovers).

« La Frontière de l’aube »La Frontière de l’aube, projeté en sélection officielle de la 61e édition du festival de Cannes en mai 2008, a vidé les salles de spectateurs néophytes comme de critiques chevronnés, au son de rires moqueurs et de fauteuils qui claquent. Il est signé Philippe Garrel, un cinéaste certes radical et exigeant, mais qui ne méritait pas cet étrange hourvari (comme souvent sur la croisette !) tant, de La Naissance d’un amour à Le Cœur fantôme jusqu’aux Amants réguliers, il n’a eu de cesse de peindre d’un trait envoûtant et juste les affres de la passion ultime…

Philippe Garrel aime le septième art d’un amour fou. Réalisateur extrême, violent, viscéral, poétique jusqu’à flirter le ridicule, il prend souvent le risque d’être lapidé dans les colonnes des papiers glacés. Qu’importe les mécontents, il reste libre.  Libre de raconter ces passions qui l’obsèdent. Carole (Laura Smet), une actrice délaissée par son mari parti à Hollywood, succombe au charme de François (Louis Garrel), un photographe en charge de réaliser un reportage sur elle. Après des journées d’amour hors du temps, la réalité rattrape les amants, leur relation se relève sans avenir et ils sont séparés. Un an plus tard, le jeune homme a refait sa vie avec Eve (Clémentine Poidatz), plus classique mais non moins fragile. Cependant, Carole revient le hanter… François est alors déchiré entre liaison passée hypnotique et fatale, et amour présent adulte qui sait raison garder.

À l’instar des Amants réguliers, son précédent long-métrage, Philippe Garrel nous invite dans un Paris intemporel plongé dans un noir et blanc somptueux au grain parfois aussi rocailleux que la violence des sentiments des personnages. Au son des violons envoûtants du jazzman Didier Lockwood, la caméra glisse lentement sur les visages d’un couple qui susurre des phrases soignées. Foin de naturel, mais construction d’une projection artistique. Pour franchir La Frontière de l’aube, il faut accepter que le cinéma devienne œuvre dans le sens le plus absolu du terme, de se retrouver devant des scènes objets aussi belles qu’évanescentes, d’observer les oscillations d’un petit théâtre de la vie et de la mort qui se joue sans compromission mais toujours avec dérision.

Car Philippe Garrel sait rire de lui-même avant de se moquer des autres. Ce gauchiste pur et dur, cinéaste post-Nouvelle Vague, incarne une époque et des valeurs qui n’existent plus. Il l’a bien compris (longtemps dans la souffrance !) et ne cesse donc de parachever sur le grand écran son autodafé. Ainsi, dans la forme spectrale de Laura Smet qui se reflète dans un miroir (plongée au cœur du mythe et non pas apparition ridicule) s’exprime l’aboutissement des visions d’un artiste qui, tel Cocteau, use du fantastique pour incarner ses fantasmes les plus démesurés, au nom d’un romantisme mortifère. D’aucuns en pleureront de rire, d’autres en ressortiront bouleversés par un voyage à trois aussi beau que déconcertant, sublime que fragile, entre aube de la naissance d’un amour et crépuscule d’un cœur fantôme…

À retrouver dans la série : Festival de Cannes 2008