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« L’Âge d’or du X » : à la lie du plaisir

Alors que l’on vient de célébrer le quarantième anniversaire de Mai 68, le documentaire L’Âge d’Or du X, apporte un regard polisson et sociétal sur ces années de libération sexuelle. Interview avec le réalisateur Nicolas Castro.

« L’Âge d’or du X » : jaquette du double DVD« L’Âge d’Or du X : une fantaisie qui fait rire, pleurer et bander », phrase d’accroche au dos du double DVD de Nicolas Castro et Laurent Préyale et argument de vente qui tient toutes ses promesses ! Les deux complices balisent la parenthèse enchantée du cinéma porno des années 1970 au début des années 1980, de Fritz The Cat à Emmanuelle en passant par Exhibition. Cependant, ils ne se contentent pas d’alterner les extraits de longs-métrages afin d’établir un top exhaustif du meilleur du genre, mais apportent un témoignage nourri des évolutions de la société.

Ainsi, le X devient révélateur de la révolution sexuelle post-68. Une époque, pas si lointaine, où les couples divorcés faisaient figure de persona non grata à l’Elysée tandis que les membres du manifeste des 343 demandaient la levée de l’interdiction de l’avortement. Le cinéma porno constituait une plage de liberté dans un paysage giscardien étouffé par les tensions et les contradictions. Un vent de libération des attitudes sexuelles, dont témoignait le succès des films X (qui bénéficiaient d’une vraie qualité d’image, d’écriture et de diffusion), soufflait alors, avec pour figure emblématique Brigitte Lahaie, comédienne à la langue déliée et aux arguments probants. Brigitte et moi, second opus du DVD, lui rend d’ailleurs hommage, façon Grand Détournement, avec notamment entre deux scènes cu-cultes, des dialogues d’une drôlerie infinie, réécrits par Sébastien Thoen (membre actif du Groupe Action Discrète sur Canal +), et lus par Michel Vuillermoz, de la Comédie française.

In fine, la loi de 1975 (qui cantonne les films pornos dans des circuits spécialisés interdits aux moins de 18 ans et instaure des taxes drastiques) sonne l’hallali de ces années libertaires qui s’achèvent définitivement avec l’apparition du sida et l’évolution des moyens de diffusion. Le magnétoscope, les chaînes cryptées et Internet ont déplacé l’industrie pornographique, pas toujours pour le meilleur… Raison supplémentaire pour découvrir ce sex-movie délicieux pour (a)mateurs de coquineries tournés en 35mn, de secrétaires aux seins 100% naturels, de majordomes prêts à répondre à tous les désirs, et amoureux d’une époque où le plaisir coulait dans les profondeurs des gorges comme un bon vin à déguster sans modération !

La Griffe : Comment est né le projet de L’Âge d’or du X ?
Nicolas Castro : Très cinéphile, j’ai vu beaucoup de films, dont une bonne partie des années 70, qui m’ont donné l’idée de réaliser un premier documentaire, Michel Rocas le roi du nanar qui retraçait le parcours de réalisateurs de cinéma bis passant d’un genre cinématographique à l’autre : la comédie, le film d’espionnage, le western-spaghetti, le western paella, le fantastique, l’érotique, le porno... J’ai dû me documenter sur chacune de ces périodes pour m’apercevoir rapidement que l’épopée du X dans les années 70 offrait une matière passionnante pour un second documentaire. Sans avoir connu cette époque, j’ai voulu la raconter en utilisant ce phénomène de société comme révélateur d’une France en pleine libération des mœurs, dans le courant libertaire né à la fin des années 60.

Comment avez-vous choisi les intervenants ?
Je souhaitais interroger des profils différents Francis Mischkind producteur, Jean-François Davy, réalisateur, Brigitte Lahaie, comédienne étaient incontournables. Pour les autres, ils me sont tous apparus comme des témoins majeurs qui se connaissaient, s’appréciaient pour la plupart et évoquaient avec plaisir ces années-là. Malheureusement, je n’ai pu interroger d’autres personnalités intéressantes comme Francis Leroi ou Frédéric Lansac, décédés…

Pourquoi l’avoir traité par le truchement d’un journal télévisé parodié ?
Comme je vous l’ai dit, je suis fan des années 70, je voulais retranscrire l’époque avec ses couleurs, ses motifs, ses sensations. Le journal télévisé m’a donc semblé le moyen idéal pour établir un point de vue sociétal sur l’époque.

Parodie du journal télévisé au lendemain du vote de la loi de 1975

Parodie du journal télévisé au lendemain du vote de la loi de 1975

Vous taclez Giscard, mais aussi la gauche avec Jack Lang chevalier blanc de la morale. À l’époque du flower power et de la révolution sexuelle, pourquoi la libération des mœurs ne s’est-elle pas opérée au niveau politique ?
Je n’ai pas l’impression de tacler Giscard plus qu’un autre, mais plutôt de montrer ses contradictions : il a été contre la censure et l’a abolie, ensuite il a instauré la fameuse loi de 1975. À partir du moment où le porno est devenu un véritable phénomène de société, faisant la une des hebdomadaires, la politique s’est vite emparée, à travers la problématique de la censure, de la question du cinéma pour adultes. Chaque gouvernement à donc légiféré dessus, avec de multiples revirements. Par ailleurs, dans la lignée de Mai 68, le cinéma porno fut pour certains un outil de provocation, faisant échos aux revendications de minorités. Toutefois, la plupart des films X n’avaient aucune autre ambition que celle de s’amuser entre amis, de divertir et d’offrir du plaisir aux spectateurs.

Dans Brigitte et moi, comment s’est effectué le choix des extraits de longs-métrages ? Vous êtes-vous appuyé sur L’Anthologie des scènes interdites, érotiques et pornographiques de Bénazéraf par exemple ?
Pas du tout. Je suis un grand amateur d’images d’archives, j’ai donc, avec Laurent Préyale, effectué des recherches à l’INA. Pour le choix des longs-métrages, Francis Mischkind, producteur principal des classiques de L’Âge d’or du X, a eu la gentillesse de m’ouvrir son catalogue de films. Ensuite, il a bien sûr fallu visionner les films et en repérer les extraits les plus savoureux, long travail qui m’a donné l’idée de réaliser le second film, Brigitte et moi. J’avais l’idée de départ : raconter la parenthèse enchantée (1967-1983) en utilisant différentes sources.

Pourquoi avoir privilégié un point de vue masculin pour évoquer Brigitte Lahaie ? Le porno, ce sont les hommes qui en parlent le mieux ?
Richard Allan faisait partie de la fameuse bande des quatre mousquetaires du X (avec Dominique Aveline et Alban Ceray, Jean-Pierre Armand que j’évoque dans le DVD). Dans La Femme objet, il se trouve dans quelques scènes derrière une machine à écrire, elles ont donc constitué un fil rouge idéal pour raconter une pseudo histoire d’amour entre Richard et Brigitte. Quant à Brigitte Lahaie, elle est l’icône absolue des films X des années soixante-dix, je n’ai pas hésité un instant. Rien de machiste là-dedans, (et j’espère que ce n’est pas ce qui se dégage du film), d’ailleurs si on en revient à l’époque, les femmes appréciaient de tourner dans les films porno car elles revendiquaient ainsi le droit à l’orgasme à l’écran tout en exposant librement leur féminité…

Richard raconte son histoire, il est né à Neuilly-sur-Seine et son père est mort très jeune… Vous êtes-vous inspiré d’une personnalité politique qui occupe une très haute fonction à la tête de l’État ?
[rire]. Non, pas au début. Mais j’ai été pas mal énervé contre le discours de Sarkozy et son projet de « liquider l’héritage de mai 68 ». C’est pour cette raison que je glisse une boutade à la fin de Brigitte et moi.

Pourquoi avoir flouté le sexe masculin lors d’une scène de fellation ? Ne craigniez-vous pas ainsi de cautionner l’amoralité du gros plan propre à l’interdiction du X ?
Vous êtes dure là parce qu’il n’y a qu’une scène floutée sur l’ensemble des deux films! Si je ne voulais pas être classé X et interdit aux moins de 18 ans, je devais respecter certaines exigences propres à une diffusion TV (qui ne sont pas les mêmes qu’au cinéma !). En théorie, il est interdit de montrer un sexe en érection. Et là il se trouve qu’il y avait une scène de dialogue merveilleuse entre un bourgeois et deux soubrettes. Je ne voulais pas la couper au montage donc j’ai préféré cacher le sexe et la conserver.

La comédienne Brigitte Lahaie comme le réalisateur Jean-François Davy et le producteur  Francis Mischkind revendiquent une époque de pur plaisir dans l’industrie du X. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
Je ne veux pas tomber dans le cliché passéiste voulant que « le porno, c’était mieux avant », mais pour toutes les raisons expliquées dans le documentaire, ces films-là bénéficiaient d’un certain projet et étaient réalisés par des cinéastes qui venaient du cinéma traditionnel. Le X provenait d’artistes qui souhaitaient contester l’ordre établi, bousculer un peu le bourgeois dans un esprit « bon enfant ». Ils n’étaient pas très bien payés mais faisaient ça pour se marrer. Bien sûr, les films que j’évoque représentent le haut du panier de l’époque et cela ne se passait peut-être pas aussi bien pour tout le monde. Aujourd’hui je pense que c’est devenu une industrie bien mieux organisée qui a perdu l’aspect artisanal des années 70 et qui donne dans la surenchère de performances des comédiens...

Justement, la représentation de la pornographie, déplacée sur les chaînes à péage et sur Internet, comporte-t-elle encore un enjeu politique ?
Je ne sais pas dans quelle mesure la politique doit s’en emparer. Après, ça vaut le coup de se poser la question d’un accès complètement libre à des images pornographiques sur Internet pour des enfants de tous les âges.  Sans être un horrible réactionnaire, on peut réfléchir à quel genre de protection apporter.

Le comédien HPG a tenté en 2006, en réalisant On ne devrait pas exister, de sortir le porno de son carcan « obscène » pour l’emmener vers un cinéma « traditionnel ». Il poursuit ainsi un constat évoqué dans L’Âge d’or du X : l’impossibilité pour les acteurs de films X de devenir des comédiens classiques. Que pensez-vous de sa démarche ?

Je trouve cette envie formidable. Les acteurs venant du X sont victimes de nombreux a priori. À ma petite échelle, j’ai constaté que dès que j’évoquais mes projets pour L’Âge d’or du X, que je traitais pourtant d’une manière amusante, mes interlocuteurs montaient sur leurs grands chevaux et prenaient des airs horrifiés. Les acteurs souffrent du même problème. Ils sont immédiatement catalogués… Je ne vois pas pourquoi il n’existerait pas de passerelle dès lors que les gens ont du talent !

DVD : « L’Âge d’or du X » (Studio Canal)