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« Les Diablogues » : la montagne accouche d’une souris

Jacques Gamblin et François Morel en duettistes du langage et de l’absurde, sur des textes de Roland Dubillard : une bonne idée gâchée par une mise en scène consensuelle. Et l’occasion de republier un entretien avec Jacques Gamblin [1] réalisé en 2004.

L’affiche est alléchante : l’exquis Jacques Gamblin et le décalé François Morel en duo, au service des délirants Diablogues de Roland Dubillard. Sur le papier, tout est réuni pour passer une bonne soirée. À la sortie du théâtre (en l’occurrence La Passerelle de Saint-Brieuc, à la mi-décembre), on ne peut pas dire le contraire. Mais on ne peut non plus cacher certaines réserves.

Jacques Gamblin et François Morel dans « Les Diablogues »

Jacques Gamblin et François Morel dans « Les Diablogues »

Sur le texte, d’abord. Cette succession de dialogues sans lien entre eux, d’abord conçus comme des sketches radiophoniques sous le titre Grégoire et Amédée en 1953 et adaptés pour le théâtre en 1975 sous le titre actuel, fourmille de pépites et de jeux de langage souvent drôles, de piques bien senties et d’échanges qui n’hésitent pas à glisser vers l’absurde. Mais si le spectacle décolle vite, au sujet notamment du ping-pong et de la pluie, on a tout aussi rapidement la désagréable impression qu’il pourrait aller bien plus loin, bien plus haut, mais que le délire reste cantonné dans des sphères mesurées et trop balisées. Peut-être est-ce dû aux acteurs qui, pour s’amuser, ne donnent pas non plus leur pleine mesure. On les sait capables d’excellence, on les trouve moyens — pas sans talent, évidemment [lire notre entretien [1] avec Jacques Gamblin publié dans La Griffe n°170], mais sans éclat.

Cependant, la cause de cette frustration générale est plus sûrement à rechercher dans la mise en scène, et ce que l’on peut percevoir de ses intentions. Anne Bourgeois évite certes le piège de la contextualisation, conservant à ses deux personnages (qui n’ont pas de nom et se vouvoient) une apparence atemporelle, ne les situant dans aucun lieu précis. Mais elle tombe dans celui de la démonstration, comme dans l’épisode du projecteur de cinéma. L’accessoire n’apporte rien, et les effets soulignent de façon grossière ce que les mots suffisent à faire voir. Même remarque à propos des pastilles musicales, insérées entre chaque dialogue comme s’il fallait absolument marquer ces transitions pourtant évidentes.

Tout dans la mise en scène porte la marque de bonnes intentions inutiles. Les acteurs sont populaires et vont attirer au théâtre un public peut-être non habitué (ce qui se vérifie : les salles sont pleines à craquer) ? Alors il faut bien faire attention à ne pas le désorienter, le prendre par la main et le guider. À force de vouloir faire une mise en scène familiale, à force de vouloir plaire en somme, Anne Bourgeois en oublie d’avoir de l’ambition. Le résultat n’est pas désagréable, mais il est sans mordant, sans originalité. Aplanir les montagnes évite de se fatiguer, mais que devient alors le paysage ?

Les 23 & 24 janvier à Fougères (centre culturel Juliette Drouet, complet, séance supplémentaire le 24 à 16h, 02 99 94 83 65), le 24 février à La Chapelle-sur-Erdre (Espace Culturel Capellia, 02 40 72 97 58), le 25 février à Château-Gontier (Le Carré, 02 43 09 21 50),  le 26 février à Laval (Théâtre, 02 43 49 19 55), le 28 février et le 1er mars à Caen (Théâtre, 02 31 30 48 00).